jeudi 26 avril 2018

Une visiteuse bien inattendue ...

Une hirondelle rustique de visite sur l'Île de la Possession


Depuis quelques jours et le passage successif de forts coups de vent, une rumeur courrait dans la base. Certains avaient cru voir voler un ou deux oiseaux "exotiques" pour nos contrées. Les discussions allaient bon train jusqu'au coup de téléphone de Christophe, le chef Garage : "une hirondelle a trouvé refuge en haut d'un mur de mon atelier mécanique". En quelques minutes, l'information s'est répandue telle une trainée de poudre et bon nombre des hivernants se sont retrouvés dans le garage pour saluer notre hôte si improbable. 

Le jugement de Célia, ornithologue attitrée (programme 109 de l'IPEV), était sans appel. Il s'agit d'une hirondelle rustique, sans doute égarée très au sud alors qu'elle empruntait le chemin de sa migration vers l'Europe, depuis l'Afrique du Sud, où elle a passé l'été austral. Il faut dire que ces dernières semaines ont été particulièrement tumultueuses avec des vents très violents. Un si frêle volatile ne pèse pas lourd dans la tempête des hautes altitudes. Heureusement pour lui, il a trouvé sur la base Alfred Faure un havre de paix et de repos. Entreprendra-t-elle seule le voyage vers le nord quand elle se sentira revigorée ?   

Notre visiteuse installée bien au chaud dans le garage ...

 








Hirondelle rustique

Hirundo rustica - Barn Swallow

Systématique
Ordre : Passériformes
Famille : Hirundinidés
Genre : Hirundo
Espèce : Rustica
Descripteur : Linnaeus, 1758

Biométrie
Taille : 18 cm
Envergure : 32 à 34 cm.
Poids : 16 à 25 g
Longévité : 16 ans


Aire de distribution de l'hirondelle rustique : on note sa présence en Afrique du Sud lors de l'hiver dans l'hémisphère nord. Sans doute notre visiteuse à passer l'été dans le sud du continent africain avant de songer à repartir dans le nord. Elle aura été prise par un vent tempétueux qui l'aura conduite jusqu'à Crozet.

Ce phénomène n'est pas si rare et plusieurs écrits de mes prédécesseurs chefs de district attestent de l'observation d'oiseaux migrateurs perdus et échoués à Crozet, à bout de force.

lundi 23 avril 2018

Escale du DRINA à Port Alfred


Fair winds and following seas guys!


Un séjour dans les australes est parfois l'occasion de rencontres inattendues. Ce fut le cas en mars avec l'arrivée à Crozet d'un voilier de 14m de long, sur son chemin de retour vers l'Australie, au terme d'un tour de l'antarctique entamé huit mois plus tôt au départ de Brisbane. A bord, trois navigateurs qui n'en étaient pas à leur première puisqu'ils se sont connus deux ans plus tôt dans d'autres mers froides, arctiques cette fois, avec le périlleux passage du Nord-Ouest (où ils croisèrent par ailleurs le Moli, autre voilier passé par Crozet cette année).

Les liens n'ont pas tardé à se nouer avec ces trois personnalités hautes en couleurs, enthousiastes et émerveillées des richesses naturelles de notre archipel. Toute la mission était également avide d'échanges et de récits des aventures de nos trois invités, partis deux semaines jours plus tôt de Cape Town où ils avaient fait escale, après avoir franchi le mythique Cap Horn, être passés par les Falklands, la Géorgie du Sud et avoir traversé l'Atlantique. Pendant trois jours nous avons ainsi pu partager nos impressions de la vie dans le mers du sud, faire découvrir quelques aspects de l'Île de la Possession et de la collectivité des TAAF à nos visiteurs et surtout apprécier le caractère improbable de si belles rencontres si loin de tout.

Trois jours trop courts et il était déjà temps qu'ils reprennent la mer vers Kerguelen. Une traversée difficile les attendait avec une violente tempête qui a mis à mal ce petit mais solide petit voilier, fabriqué en alu et sortant d'un chantier naval français il y a plus de trente ans. 









Souvenirs d'une mémorable invitation à bord du DRINA et d'un excellent dîner dans l'étroit carré du bord. Un grand moment de franche convivialité australe !

Par ordre d'apparition :
  • Les navigateurs du DRINA : Michael Thurston (skipper du Drina, australien), Matt Jensen Young (australien), Rossco Booker (britannique)
  • Autour de la table : en plus des aventuriers, Cassandra (Agent de la Réserve Naturelle), Vincent (manchologue bien connu - voir ses articles dans le blog) et Christophe (Discro).



Le petit mot très sympathique laissé par nos nouveaux amis dans le livre d'or de la base.


Ce fut une joie et un privilège de vous avoir parmi nous pendant ces trois jours. Tant d'émotions et d'aventures partagées laisseront des traces profondes dans nos mémoires et inscriront votre passage comme un des moments forts de notre mission !

Have a fair wind to Kerguelen!

Toute la base Alfred Faure, Mission 55 


Plongée dans le monde des manchots royaux - Argonautica N°4 (FIN)


Journal Argonautica pour Crozet, Saison 2018 N°4

Par Vincent Bourret, IPEV (son portrait)




Chers amis,

Voici le dernier numéro du journal Argonautica pour cette saison 2018 !

Au cinq mars, date du précédent numéro de ce journal, les cinq animaux suivants étaient en mer :
- F00 (parti en mer le 20 février avec la balise Argos numéro 166436)
- F02 (parti en mer le 25 février avec un enregistreur de plongée MK9)
- V00 (parti en mer le 27 février avec la balise Argos numéro 166437)
- V02 (parti en mer le 2 mars avec un enregistreur de plongée MK9)
- F14 (parti en mer le 4 mars avec la balise Argos numéro 166438)

Et bien les quatre premiers sont revenus exactement dans l’ordre dans lequel ils étaient partis, soit F00, puis F02, puis V00, puis V02 !

F00 est donc revenu à la colonie le 7 mars pour nourrir son poussin (figure 1). Nous en avons profité pour retirer sa balise Argos 166436. Celle-ci a montré que son voyage l’avait mené très, très loin au Sud (à des centaines de kilomètres de Crozet) pour chercher de la nourriture. Lorsque nous avons pesé ce manchot, nous nous sommes rendu compte que cela lui avait été profitable puisqu’il avait gagné plus de 2,5 kg (soit environ un quart de son poids) en un peu plus de deux semaines !

Il est reparti en mer dès le surlendemain – les parents passent peu de temps à terre en cette période – cette fois sans aucun équipement. F00 a donc fini son « travail » pour notre programme d’étude ! Il a depuis été revu seulement une journée sur la colonie, le 28 mars. Souhaitons lui, ainsi qu’à son conjoint F10, bonne chance pour l’élevage de leur poussin, car l’hiver approche et il commence à faire très mauvais sur l’île de la Possession, où les poussins vont passer encore de nombreux mois à terre avant de s’aventurer pour la première fois en mer…


Figure 1. F00, de retour à la colonie le 7 mars, nourrit son poussin. Les poussins vont directement chercher la nourriture dans la bouche de leurs parents ! Vous pouvez voir sur le dos de F00 la balise Argos numéro 166436.

F02 quant à lui est revenu à la colonie le 18 mars, après plus de 3 semaines passées en mer avec son enregistreur de plongée MK9. Ces appareils donnent des renseignements extraordinaires sur le déroulement des plongées des manchots… Regardez plutôt la figure 2 ! Ce type de figure est ce que l’on appelle un « graphique ». Nous allons essayer ensemble de comprendre celui-ci…
Ce graphique représente, à chaque instant autour de 8h30 du matin le 2 mars, la profondeur à laquelle se trouvait F02. Ainsi, à 8h25, F02 était en surface (profondeur de zéro mètre). Il a commencé à descendre juste avant 8h26, et a atteint sa profondeur maximale (au-delà de 200 m !) à 8h28 ; puis il est remonté pour retrouver la surface peu après 8h30. Il a ensuite démarré une autre plongée à 8h32, soit après seulement deux minutes de repos en surface… Rappelez-vous que ces animaux ne sont pas des poissons, ils ne respirent donc pas sous l’eau (de ce point de vue ils sont comme nous et plongent en apnée !)

Figure 2. Profondeurs auxquelles a évolué F02 le 2 mars 2018 entre 8h23 et 8h33.

On pouvait s’attendre à ce que F02, après avoir enchaîné deux ou trois plongées à cette profondeur, prenne un peu de repos... Mais il n’en n’est rien ! Si l’on regarde ce qu’il s’est passé entre 8h et 9h du matin (figure 3), on voit que F02 a enchaîné pas moins de neuf plongées à plus de 150 m de profondeur, en une heure ! Et si l’on regarde le déroulement de toute la journée du 2 mars (figure 4), c’est encore plus impressionnant… Ce sont des dizaines et des dizaines de plongées consécutives, du lever au coucher du soleil. Et l’animal a enchaîné pas moins de 21 journées consécutives comme celle-ci, du 25 février au 18 mars…


Figure 3. Profondeurs atteintes par F02 entre 8h et 9h du matin le 2 mars.


Figure 4. Plongées de F02 sur toute la journée du 2 mars.

V00 quant à elle est revenue avec sa balise Argos 166437 le 22 mars. Elle a retrouvé son poussin qui lui a immédiatement réclamé à manger (figure 5). De même, V02 est revenu avec son MK9 le 27 mars et nous l’avons déséquipé.



Figure 5. Les retrouvailles de V00 et son poussin, le 22 mars.

A ce jour, il ne reste donc que F14 d’équipé ! Gageons qu’après un beau voyage aux confins des eaux antarctiques, il ne tardera pas lui aussi à revenir…

Voilà que s’achève pour moi cette période de 5 mois de travail avec les manchots royaux de Crozet. Nous avons été plusieurs à travailler en Baie du Marin pendant toute cette période, sur des aspects complémentaires de la biologie de ces animaux :

Caroline (figure 6) étudie la façon dont les manchots font face aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer à terre, et notamment le stress. En effet, ils se retrouvent en grand nombre pour se reproduire sur les plages où ils doivent défendre un petit emplacement, avec leur oeuf puis leur poussin !

Quant à Rébecca, elle étudie de nombreux aspects de la biologie de ces animaux, y compris leur acoustique (figure 7) !

Enfin, Douglas (figure 8) nous aura tous aidés en participant aux trois programmes d’étude. Lui et moi allons prendre le bateau pour quitter Crozet dans quelques jours, alors que Rébecca et Caroline resteront encore huit mois. Elles verront donc les poussins éclos cette année gagner la mer pour la première fois !


Figure 6. Caroline, vétérinaire, spécialiste du stress chez les manchots lors de leur séjour à terre ! Au fond, l’île de l’Est.



Figure 7. Rébecca enregistre les sons émis par les manchots ! La photo, prise en novembre dernier, montre de gros poussins de l’année dernière en train d’acquérir leur plumage adulte, alors qu’ils s’apprêtent à quitter l’île pour la première fois.



Figure 8. Douglas, avec son ami le chionis, profite d’une pause bien méritée.

Amitiés, et bonne continuation à tous. Je souhaite que vous rencontriez dans votre scolarité et votre travail le même bonheur que celui que j’ai connu ici au contact des manchots !

Vincent.