lundi 3 juillet 2017

Récit de la 1ère campagne à Crozet (1/3)

Ce WE, nous vous faisons partager le récit de la 1ère campagne à Crozet, écrit par Alfred FAURE, Chef de cette mission "zéro". Celui-ci était paru dans la revue trimestrielle qu'éditaient les TAAF à l'époque, qui continua à paraître jusqu'au milieu des années 70.

Bonne lecture !



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MISSION DANS L'ARCHIPEL DES CROZET
Installation d'un Camp provisoire à l’Ile de la Possession
Décembre 1961 - Février 1962
  
par ALFRED FAURE
Ingénieur des Travaux de la Météorologie Chef du district des Crozet

(extrait revue trimestrielle TAAF N°19-20 - avril-septembre 1962)


I. APERÇU HISTORIQUE


Durant le XVIIIe siècle, la découverte du continent austral était la grande affaire des navigateurs audacieux fondant leurs entreprises sur des hypothèses géographiques ou des témoignages qui se révélèrent erronés. Ce qu'ils découvrirent devait le plus souvent les décevoir.

L'existence d'une poignée d'îles désolées fut la principale découverte d'un de ces voyages entrepris en 1771 par le marin malouin Marion-Dufresne. Commandant des navires de la Compagnie des Indes, condamné à une demi-activité par le déclin de celle-ci, Marion-Dufresne se fit confier une mission pour tenter de découvrir le continent austral.

En décembre 1771, l'expédition composée de deux navires, le Mascarin et le Marquis de Castries, quittait les Mascareignes. A bord du Mascarin, le second de Marion se nommait Julien Crozet.

Descendant vers le Sud la flottille fit au début la découverte la plus marquante de la longue croisière qui allait conduire les navires dans le Pacifique et au cours de laquelle Marion devait trouver la mort en Nouvelle, Zélande, tué par les indigènes.

Elle eut lieu entre le 13 et le 25 janvier 1772. Dans des eaux froides, brumeuses, tempétueuses, deux groupes d'îles apparurent successivement. La première terre aperçue fut baptisée par Marion, Terre de l'Espérance, car il y voyait la promesse du continent recherché. Sa voisine, une petite île, fut dénommée île de la Caverne (De nos jours, la Terre de l'Espérance se nomme île Marion. Le nom de son découvreur lui a été donné par Cook lors de son passage en 1776. L'île Marion et l'île de la Caverne, devenue île du Prince Edouard, sont aujourd'hui des possessions sud-africaines.).

A 800 milles dans l'Est, un second groupe fut appelé par Marion [les froides, en raison des glaces dérivantes rencontrées dans leurs eaux. Crozet en prit possession au nom du roi de France en mettant pied à terre sur la plus grande d'entre elles qui reçut pour cela le nom d'île de la Possession.

Dans sa relation de voyage, Crozet est assez laconique sur sa découverte. Pour qui recherchait un continent supposé riche, ces îles désertiques, au climat inclément, devaient être assez décevantes.

Pendant le siècle qui suivit la découverte, l'Archipel fut surtout fréquenté par des baleiniers et des phoquiers, principalement américains. Les seules richesses des Iles, les troupeaux d'éléphants de mer et les innombrables manchots, furent exploitées sans ménagements jusqu'à la presque totale disparition des espèces animales chassées.

Les côtes inhospitalières, battues par des eaux souvent furieuses, furent le théâtre de nombreux naufrages. Les rescapés vécurent dans des conditions de dénuement incroyables, certains profitèrent cependant de leur séjour pour recueillir des observations intéressantes sur les lieux de leur retraite, ainsi qu'en témoigne le récit du sieur Lesquain présenté ci-après (p. 40) par le Colonel Milon. La frégate L'Héroïne fut chargée en 1837 d'assister les baleiniers français dans ces parages. Elle permit de réaffirmer la souveraineté française sur l'Archipel.

Il faudra le naufrage sur un récif au large de l'Ile aux Cochons, en 1887, du trois-mâts Tamaris (Voir Revue no 12. bibliographie : « Le novice du Tamaris » - Dar Yves Le Scal.), de Bordeaux, pour qu'à nouveau les Crozet soient visitées par un navire de guerre français. Pendant ses recherches, ce bâtiment, l'aviso La Meurthe, accomplit un travail hydrographique qui jusqu'à nos jours a servi de base à la carte marine de l'archipel.



Ainsi que l'avait fait Cook en 1776, Ross devait également toucher les Crozet en 1839.
Au début du XXe siècle, le déclin de la pêche à la baleine rendit ces îles à leur solitude première. A peine peut-on citer au cours des cinquante premières années les brèves apparitions de l'expédition allemande de Gauss en 1901 et des navires de guerre français, l'Antarès en 1931 et le Bougain­ville en 1938.

Cette époque est révolue. Depuis les dix dernières années, le grand effort accompli internationalement pour pénétrer les secrets et connaître les ressources des régions encore mal connues de l'hémisphère austral s'est étendu aux îles subantarctiques et devait gagner les Iles Crozet.

Celles-ci, séparées les unes des autres par de grandes étendues marines, présentent un intérêt essentiel pour la prévision du temps. Déjà des postes météo ont été installés aux Iles du Prince Edouard, Marion, Kerguelen et Nouvelle-Amsterdam ; seul manquait un maillon de la chaîne, celui des lies Crozet. Il est sur le point d'être mis en place.

Sans insister sur le passage très rapide, en 1950, de l'aviso Lapérouse, il convient de signaler la reconnaissance de trois jours effectuée en novembre 1957 par la mission du colonel Genty. Organisée par les TAAF et le C.A.S.D.N., elle avait pour but d'établir, si possible, une première carte des îles principales Possession et Ile des Cochons, ainsi que de rechercher un point de débarquement et un lieu d'établissement du futur poste météo. Disposant d'un hélicoptère Djinn opérant à partir du S/S Gallieni, navire des Messageries Maritimes, elle put prendre une série de photos aériennes, mais ne pur achever son travail en raison du mauvais temps. Les résultats ont été exposés par le Colonel Genty dans son ouvrage « Etude sur l'Archipel des Crozet ».

La première relation d'une visite dans l'intérieur de l'Ile de la Possession fut celle du navigateur britannique Tilman. Venu d'Angleterre en 1959 à bord de son cutter le Mischief, il recueillit des observations météorologiques et de biologie animale et végétale (Voir revue TAAF N. 14, pages 52 et suivantes.).


II. MISSION A L' ILE DE LA POSSESSION Eté austral 1961-62


Lorsque la décision fut prise d'ouvrir un établissement permanent aux îles Crozet, dernier district du Territoire des T.A.A.F. encore inoccupé, il y avait tellement de lacunes dans les renseignements nécessaires à une telle installation qu'il apparut vite indispensable de recourir à une mission préparatoire.

La méthode consistant à prendre une connaissance géographique complète de l'archipel avant toute recherche d'implantation à terre, eut demandé le séjour dans ces parages d'un navire équipé d'hélicoptères pendant un mois au moins. Ce qui eut été relativement très onéreux et hors des moyens financiers du Territoire.

Une formule moins coûteuse fut retenue. Elle consistait à fixer son choix sur une des îles principales en fonction des renseignements sûrs disponibles. Une équipe devait être déposée à terre et chargée d'une prospection complète entre deux passages de bateaux séparés de quelques semaines. Les frais de transport devaient être des plus réduits, s'agissant d'un simple déroutement du navire effectuant la relève des Iles Kerguelen.
 


Salut aux couleurs à l’Ile de la Possession



L'occasion de procéder ainsi se présenta pendant l'été austral 1961-1962. D'importantes expériences scientifiques aux Kerguelen exigeaient deux voyages du navire ravitailleur qu'il fut possible de dérouter par les Crozet.

Le programme des rotations permettait d'envisager un séjour de six semaines.

A.      Programme de la mission.

En se limitant à la connaissance d'une île, le programme suivant pouvait être suivi :
§  2 météorologistes
§  2 géographes
§  2 naturalistes
§  1 docteur
§  2 aides-géographes
§  1 radio
§  1 mécanicien
§  1 cuisinier
§  1 marin

L'Ile de la Possession fut donc choisie comme champ d'action de la mission. Le critère déterminant ne fut pas sa plus grande superficie mais le fait qu'on lui connaissait les meilleurs mouillages et points de débarquement de tout l'archipel..

B.      Moyens généraux.

Les moyens généraux devaient permettre la vie et le travail pendant cinquante jours avec stock de sécurité pour cent jours. Dans le .choix des membres de la mission, l'aptitude à la vie et au travail dans des conditions de survie n'avait tenu qu'une place secondaire, il fallait que l'infrastructure permît l'existence dans des conditions aussi normales que possible malgré le milieu rude.
 


La grande manchotière à la Crique du Marin


La mise en place des moyens généraux devait être très rapide, aussi rapide que celle d'un camp volant, bien que le matériel mis en œuvre fût important. Abriter personnel et matériel est la fonction principale de l'infrastructure en milieu hostile. Aux Crozet, la protection contre la pluie et le vent devait être très bonne. Les tentes furent donc éliminées, et l'absence de renseignements précis sur la nature du terrain fit abandonner le choix d'abris mobiles du type caravane de camping.

Des baraques démontables métalliques furent retenues. Elles se composaient d'éléments interchangeables entre eux dont le faible poids autorisait le transport et la manutention sans moyens mécaniques. Le montage très rapide ne demandait que quatre heures de travail à quatre hommes non spécialisés. Aucune préparation soignée du terrain n'était nécessaire, les planchers montés sur vérins compensaient les dénivellations et les isolaient du sol humide.


Les baraques étaient montées sur vérins
 
Site de la base permanente : au fond le Mont Branca



La totalité du matériel et des approvisionnements représentait un tonnage de 42 tonnes et un volume de 150 m3. L'infrastructure générale fut fournie par les T.A.A.F., le matériel technique ou scientifique spécialisé fut prêté par les organismes officiels intéressés à la mission : Météorologie Nationale, Institut Géographique National, Ecole Normale Supérieure, Service des Transmissions de l'Armée. La mise en place de l'infrastructure ne devait pas excéder 5 jours. Ceci afin de laisser une période d'exploitation suffisamment longue.
 



2 commentaires:

Isabelle 12558 a dit…

Vraiment TRÈS intéressant ! Vivement la suite...
Merci
Bon week end.
Isa

DISCRO a dit…

Merci ! C'est effectivement là toute une tranche d'histoire, que nous lisons tous avec grand plaisir.

Bon WE à vous également.